Cas d’usage : Bosch, l’innovation au coeur de la diversification des produits en fin de vie

par | Déc 16, 2021 | Actualités industrie 4.0, Entretien expert, Innovations, Interviews

L’ingéniosité au coeur de la performance industrielle

Sylvain Laurent est directeur de production chez Bosch France à Rodez, usine qui produit des bougies de préchauffage pour les véhicules diesel. Diplômé de l’INSA de Lyon, il exerce depuis bientôt deux décennies au sein de ce grand groupe.

Pour indusmakers, Sylvain revient sur l’initiative du Bosch Leading Improvement, un sujet retenu par le géant industriel dans son tour de France virtuel des solutions 4.0 sur ses sites de production. A travers un exemple concret, il illustre cet état d’esprit qui diffère des méthodes classiques de management et de résolution de problèmes. 

Le point de départ ?

Le site Bosch France de Rodez fabrique des pièces pour les véhicules diesel, marché qui a vocation à disparaître dans les décennies à venir. Cependant, la construction de pièces continue, pour les véhicules encore construits mais aussi pour la réparation des véhicules déjà en circulation et qui le resteront pour plusieurs années encore.  Il faut continuer en conséquence à maintenir l’activité, et de façon rentable.

Comment continuer à augmenter sa performance et monter en compétitivité dans une industrie où les investissements sont priorisés vers d’autres solutions que le diesel ? 

L’investissement et l’innovation sont les outils principaux des gains de performance dans l’industrie aujourd’hui. Mais dans un contexte de fin de vie, les investissements deviennent difficilement rentabilisables. Il faut trouver d’autres leviers de performance.

Exemple concret

En 2016, Sylvain Laurent est chargé d’augmenter la cadence de production sur une ligne. Une machine-outil est identifiée comme étant le goulot d’étranglement.

Classiquement, Sylvain aurait planifié un projet d’amélioration d’une semaine, en impliquant une équipe pluridisciplinaire de managers sur cette machine. Ce projet aurait permis aux managers d’échanger ensemble, de faire un diagnostic à partir d’informations récupérées peu à peu auprès de leurs équipes, puis consolidées. Enfin, le livrable aurait été un plan d’actions, qu’il aurait ensuite fallu mettre en œuvre auprès des équipes, ce qui se serait tenu sur plusieurs mois. 

Une nouvelle méthode

La méthode ‘Bosch Leading Improvement’ préconise d’investir plus de temps sur le cadrage afin de mieux identifier la problématique et cibler les spécialistes à même de la résoudre

Avec cette méthode, Sylvain Laurent est accompagné de 4 autres managers de son département  sur une période de 6 semaines, autour de 4 ou 5 rendez-vous d’une heure. Ces courtes réunions ont pour but de cibler précisément le problème, et de déclencher rapidement une action corrective réellement efficace.

Revenons à l’exemple de la machine-outil identifiée comme goulot d’étranglement. Elle possède 6 têtes d’outils différentes. L’objectif est de passer d’une cadence par pièce de 4,8 secondes, à une cadence de 4,6 secondes. (soit un gain de 0,2 secondes).

Dès la première réunion, sur la base des données de la machine récoltées au préalable par Sylvain, les managers de différents horizons, sans hiérarchie entre eux, affinent la requête. La machine étant rythmée par un bras de transfert, c’est sur ce point qu’il faut travailler en priorité. L’objectif de Sylvain est donc de s’adresser directement au technicien de maintenance spécialiste des transferts, sans passer par toute la chaîne de responsabilité classique (où un N+2 ne parle pas à un N-2… Note : nous avons bien sûr simplifié l’explication de cet exemple).

Lors de l’échange avec le technicien, Sylvain établit qu’une temporisation de 0,08 secondes avait été introduite au réglage initial de la machine pour une raison de sécurisation qui n’est plus valable aujourd’hui. Le technicien  désactive immédiatement ce réglage pour le lendemain. Ainsi, au deuxième jour de cette démarche, 40% de l’objectif est déjà atteint !

 

Des résultats au delà des attentes

Les réunions suivantes vont non seulement continuer à chercher à optimiser la cadence, mais aussi à ajuster la mise en place des nouvelles pratiques pour stabiliser les process et recueillir le feedback des opérateurs concernés.

Il est probable qu’avec une méthode plus classique, un nombre considérable d’heures additionnelles ait été passé en réunions entre managers avant d’échanger avec le technicien en question. De plus, selon la discussion avec ce technicien, il n’est pas sûr que l’objectif global lui ait été présenté, et qu’il ait pu faire la même proposition. Le poids de la hiérarchie est encore assez fort dans l’industrie.

La méthode ‘Bosch Leading Improvement’ permet donc au manager (ou Team Leader) d’échanger plus librement avec des pairs, et de capitaliser sur les expertises de chacun pour mieux cibler le besoin, prendre du recul et identifier les leviers de résolution les plus impactants. Puis, échanger directement avec la personne qui peut faire avancer la résolution, que ce soit un manager, un technicien expert ou un opérateur. 

Sur ce cas particulier, le temps passé à aboutir à une potentielle résolution aurait été de 400 heures hommes avec une méthode classique, au lieu de la vingtaine d’heures avec la nouvelle méthode. 

 

Retour sur expérience : naissance de l’ingéniosité dans un monde contraint

  • Le premier bénéfice est l’efficacité de la méthode

Lorsqu’auparavant, on exprimait une forte priorité sur un temps large, le risque était grand de faire travailler des personnes  sur des sujets dont ils ne verraient pas le bout (car d’autres priorités arrivent en permanence). Avec cette nouvelle méthode, plus serrée dans le temps, plus resserrée autour d’actions clés, l’objectif est dépassé à chaque fois.

  • Un second bénéfice est celui du changement de culture et de l’inclusion.

En arrêtant de considérer que les analyses et les solutions viennent forcément du management, on inclut forcément les équipes opérationnelles, et les résultats rapides sont valorisants.

  • Le troisième bénéfice est celui du développement de l’ingéniosité.

Malgré le contexte compliqué de fin de vie du diesel à horizon d’une ou deux décennies, la capacité des équipes à trouver des solutions et à les mettre en œuvre a un effet motivant. Travailler sur la non-performance fait naître l’ingéniosité, cet état d’esprit où l’on observe son environnement, où l’on utilise les outils qu’on a déjà, et où on résout les problèmes étape par étape, via de petites boucles de régulations. (Toute ressemblance avec la série des années 80 McGyver est purement fortuite)

Et l’ingéniosité sera un atout essentiel pour les décennies à venir. Pour le groupe Bosch, engagé dans ses objectifs environnementaux, savoir naviguer dans un monde contraint est une nécessité. Espérons que l’usine de Rodez continuera à se voir confier d’autres produits pour mettre à profit les talents développés en son sein.

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