Série : Les risques environnementaux pour l’industrie – Episode 1 : Les limites planétaires

par | Fév 3, 2022 | Actualités industrie 4.0, Décryptage, Innovations, Makers

Jérôme Cuny combine des expertises scientifiques, entrepreneuriales et stratégiques. Il est consultant et conférencier en redirection écologique au sein du cabinet IDH21.

IDH21 accompagne les personnes et les organisations dans la redirection écologique par le conseil, l’enseignement et la recherche-action.

 

Nous abordons dans cet article la question des limites planétaires dans le cadre de l’industrie.
Cette analyse est basée sur les travaux de Johan Rockström du Postdam Institute for Climate Impact Research, et Will Steffen, chimiste spécialiste du climat.
Ces travaux définissent neuf composantes planétaires et établissent des niveaux de risque pour chacune. Elles sont connues sous le nom des neuf limites planétaires.

L’analyse des risques donne aujourd’hui les valeurs suivantes pour chaque limite :

Les neuf limites planétaires selon W. Steffen

 

 

Jérôme Cuny propose ici d’ajouter deux composantes planétaires pour le domaine de l’industrie: les matières premières et l’énergie.

Commençons par revoir les neuf composantes planétaires existantes à travers le prisme de l’activité industrielle.

Les limites planétaires pour l’industrie

 

1 : le changement climatique

 

La combustion d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) produit du CO2, dont la quantité croissante dans l’atmosphère entraine un réchauffement global, qui dérègle le climat planétaire.

Dans le cadre de cette première composante, toute industrie qui produit à partir d’énergie fossile est donc concernée.

A l’échelle de la France, il est estimé que l’industrie émet environ 20% des émissions de gaz à effet de serre.

2 : la perte de biodiversité (diversité fonctionnelle et diversité génétique)

 

La biodiversité est aujourd’hui en net recul au niveau mondial, essentiellement par perte ou dégradation de l’habitat des animaux et des plantes.

L’industrie minière a un impact majeur sur cette composante, puisque l’extraction de minerais du sol nécessite l’occupation de grandes surfaces et est corrélée à la destruction des écosystèmes présents.

L’utilisation exponentielle de métaux et minerais dans les produits manufacturés multiplie ces effets.

3 : les cycles de l’azote et du phosphate

 

L’ajout d’engrais en grande quantité pour la production agricole déséquilibre le cycle de l’azote.

Ainsi, l’activité liée aux industries agro-alimentaires est clé pour ces cycles.

Leurs dérèglements entraînent notamment la pollution des nappes phréatiques et un accroissement d’émissions de gaz à effet de serre (protoxyde d’azote).

4 : la diminution de l’ozone atmosphérique

 

Le ‘trou’ dans la couche d’ozone est médiatisé depuis longtemps.

L’industrie du froid utilisait jusqu’à la fin des années 1980 des CFC (chlorofluorocarbures) dont les émissions décomposaient les molécules d’ozone dans la stratosphère.

La couche d’ozone ne s’est toujours par reconstituée à ce jour.

5 : l’utilisation globale de l’eau

 

L’accès à l’eau douce est un déjà un enjeu vital pour de nombreuses régions de la planète.

Certaines industries ne peuvent pas fonctionner sans de grandes quantités d’eau : l’industrie textile ou l’industrie du papier en sont des exemples typiques.

6 : le changement de l’usage des terres

 

En plus de l’impact sur la biodiversité, l’artificialisation des sols favorise leur érosion, le risque d’inondations et de coulées d’eau boueuse, le déstockage de carbone, etc.

La démultiplication de zones logistiques de stockage, pour toutes les industries, a un impact important sur cette composante.

7 et 8 : la charge en aérosols atmosphériques et la pollution chimique

 

Les aérosols et particules fines présentes dans l’atmosphère ont des conséquences importantes au niveau sanitaire et environnemental.

Côté industriel, l’automobile (voitures, camions, bus, etc.) est particulièrement concernée, via l’émission de particules fines par les pneus et lors du freinage.

Dans l’industrie manufacturière, l’usage de certaines peintures émet des composants volatiles organiques

9 : l’acidification des océans

 

La combustion d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) produit du CO2, dont un quart est absorbé par les océans.

Cette addition de CO2 diminue le pH des océans entrainant leur acidification. Dans le cadre de cette première composante, toute industrie qui produit à partir d’énergie fossile est donc concernée.

10 : les matières premières

Nous proposons d’associer deux paramètres combinés pour le suivi de la disponibilité des matières premières :

• Un paramètre quantitatif correspondant au nombre d’années restant avant un pic estimé de production. Dans un scénario d’élargissement de l’électrification pour réduire la consommation d’énergies fossiles, des éléments essentiels comme le cuivre, le cobalt, le zinc ou le nickel devraient atteindre un pic de production au plus tard en 2050. Le paramètre choisi avec une durée de 30 ans par rapport à aujourd’hui indique que nous sommes déjà dans une zone d’incertitude.

• Un paramètre plus qualitatif associé à la notion de criticité comme définie par l’Union Européenne. L’Europe a identifié une dépendance forte à l’importation (80% hors Europe) avec notamment trente minéraux parmi 83 matières premières considérées comme critiques en termes d’approvisionnement en 2020. Avec 36% des matières premières en situation critique, nous rentrons dans une zone d’incertitude avec un risque incertain mais réel et significatif pour ce paramètre.

11 : l’énergie

 

Pour la disponibilité de l’énergie, nous considérons deux sous-champs: les énergies fossiles et l’électricité. Le sous-champ électricité inclut les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire.

Energies fossiles : nous proposons d’utiliser comme paramètre de contrôle le nombre d’années avant le pic estimé de production. Pour le pétrole, nous sommes déjà entrés dans une zone d’incertitude. Pour le gaz naturel (méthane), une étude récente place son pic d’exploitation au niveau mondial vers 2040. Nous faisons donc le choix de présenter le champ énergies fossiles comme présentant un risque fortement croissant.

Energies renouvelables : nous proposons de considérer la notion de retour sur investissement énergétique minimum comme paramètre de contrôle. Ce paramètre permet de couvrir les défis d’amélioration du taux de conversion des énergies renouvelables, les tensions éventuelles sur les matières premières, et le coût du foncier. Les énergies renouvelables présentent un léger risque croissant parce que nous ne pouvons effacer le lien systémique entre l’approvisionnement en matières premières (cuivre, cobalt,…) et la fabrication des éoliennes et des panneaux solaires.

Energie nucléaire : la ressource principale de l’énergie nucléaire est l’uranium fissile (Uranium 235). Sa disponibilité sur les prochaines décennies ne semble pas poser problème mais la production peine à suivre l’augmentation de la demande. Il n’est pas simple d’évaluer si cela créera des tensions en France parce que comme tous les pays consommateur d’uranium, elle conserve un stock dont le volume est gardé secret. On peut donc considérer que l’énergie nucléaire est dans une situation de léger risque croissant également.

Ce qui donne pour ces onze limites le diagramme suivant :

Les onze limites planétaires

Conclusion

 

Cet article a permis de définir les 11 limites planétaires que nous proposons pour considération par l’industrie.

La soutenabilité de l’industrie ne pourra se faire au détriment de ces limites planétaires.

Dans l’article suivant, nous nous attacherons à voir comment l’industrie française se situe par rapport à ces critères.

Pour en savoir plus

Le livre blanc ‘L’industrie et les limites planétaires

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