Antoine Martin : le facteur humain dans l’éco-conception

par | Juin 3, 2022 | Actualités industrie 4.0, Décryptage, Entretien expert, Formation, Industrie 4.0, Innovations, Interviews, Makers

Ergonome et chercheur, Antoine Martin mobilise les facteurs humains pour contribuer à la transition écologique. Il s’attache à comprendre la réalité des utilisateurs dans leur complexité et à mobiliser des méthodes rigoureuses, que ce soit pour concevoir des objets, produits et services ou pour conduire des recherches.

Pouvez-vous nous présenter votre activité ?

J’exerce mon activité au sein de l’agence d’étude et de conseil Sentier Ergonomie. J’utilise les méthodes et théories de l’ergonomie et de la psychologie cognitive et sociale pour prendre en compte l’humain dans toutes les phases de conception d’un produit/service/politique : recherche utilisateur, amélioration de l’utilisabilité, évaluation des comportements etc. Dans un contexte marqué par un fort impact des humains sur l’environnement, Sentier Ergonomie défend une vision de l’ergonomie et des Facteurs Humains engagés pour la transition écologique. À travers des activités de R&D, de conseil et de formation, nous accompagnons les organisations dans la conception de produits, services ou politiques qui prennent soin des humains et qui respectent les limites planétaires.

Qu’est-ce que l’ergonomie exactement ?

“L’ergonomie (ou facteurs humains) est la discipline visant la compréhension des interactions entre les humains et les systèmes, avec l’objectif d’améliorer le bien-être de l’humain et la performance du système.” On parle parfois d’expérience utilisateur pour inclure l’expérience d’utilisation perçue (émotions, pensées, etc.) aux aspects classiquement étudiés en ergonomie (activité, capacités physiques et cognitives des utilisateurs). L’ergonomie est une discipline appliquée, qui fait appel aux connaissances et méthodes en psychologie cognitive, psychologie sociale et sociologie pour :(1) comprendre les problèmes que rencontrent les utilisateurs, (2) inclure les utilisateurs dans la conception et (3) proposer des recommandations permettant aux systèmes d’être accessibles et faciles à utiliser. Il s’agit donc d‘appliquer les méthodes et connaissances des sciences humaines et sociales à un système donné (produit, service ou politique), avec pour objectif de concevoir ou d’améliorer ce dernier.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est, classiquement, l’éco-conception ?

L’éco-conception consiste à prendre en compte dans la conception d’un artefact (objet, service ou système) son impact environnemental. L’idée est de concevoir l’artefact en cherchant à limiter le plus possible les impacts négatifs qu’il va avoir sur l’environnement Couramment, les experts de l’éco-conception s’appuient sur la méthode de l’Analyse du cycle de vie pour mener à bien cette tâche. Il s’agit de quantifier l’impact (par exemple l’énergie consommée, l’empreinte carbone ou encore l’eutrophisation de l’eau), de l’artefact tout au long de « sa vie », de sa conception à sa fin de vie (en passant par la fabrication, le transport et l’usage).  Illustration du cycle de vie A noter que les impacts sociaux et sociétaux (par exemple l’impact sur l’emploi) sont aussi souvent pris en compte conjointement aux aspects environnementaux.    

Vous proposez une dimension élargie de l’éco-conception, en impliquant largement l’utilisateur. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi, et quels sont les avantages ?

En effet, nous proposons d’approfondir la prise en compte de l’utilisation de l’artefact (à ne pas confondre avec les impacts sociaux et sociétaux), qui est une étape cruciale et pourtant aujourd’hui limitée à des indicateurs techniques (par exemple la durée de vie de l’artefact).  Pourquoi ? Car même une « bonne » solution technique (ex. produit éco-conçu) peut devenir une « mauvaise » solution à l’épreuve des usages (ex. rebonds comportementaux). En effet, ce sont les comportements qui conditionnent souvent l’impact environnemental réel des produits. 

À titre d’exemple, dans le secteur du bâtiment, des expériences visant à réduire la consommation d’énergie ont eu lieu en mettant l’accent sur l’efficacité énergétique des bâtiments et des équipements. Les réductions de consommation attendues n’ont pas été observées (Blaise & Glachant, 2019; Sidler, 2011), car il existe un décalage entre l’usage prévu et l’usage réel des bâtiments et des équipements, qui met à mal leur efficacité énergétique (Zélem et al., 2013) ou encore car les habitants sont sujet à des rebonds comportementaux qui peuvent engendrer des hausses de consommation. Cet exemple révèle que les systèmes aussi efficaces qu’ils soient d’un point de vue technique ne le sont que s’ils sont adaptés à leurs utilisateurs.

Ces comportements contreproductifs (ex. rejets, rebonds comportementaux, détournement) et leurs déterminants (sociaux, cognitifs, instrumentaux etc.) ont été largement documentés dans la littérature scientifique en psychologie (ex. Maki et al., 2019), ergonomie (Revell & Stanton, 2017), design (ex. Wever et al. 2008) et économie comportementale (Frederiks et al, 2015), à travers différents concepts (biais cognitifs, changement de comportement, behavioral design, genèse instrumentale etc.).  

Le « facteur humain » est donc un élément clé de l’éco-conception, qu’il convient d’implémenter pleinement aux côtés des aspects techniques. Nous travaillons actuellement sur le développement d’un outil qui permettrait aux « concepteurs » d’intégrer le plus facilement possible dans l’éco-conception les comportements des utilisateurs pour favoriser le changement vers des comportements pro-environnementaux et pour éviter les rebonds comportementaux indésirables.

En effet, les mécanismes de changement de comportements sont bien documentés, mais il apparaît qu’ils ne sont pas intégrés dans les approches classiques d’éco-conception notamment car ils sont fastidieux à mettre en place pour des acteurs qui n’ont pas un profil « chercheur » ou qui ne sont pas issus des sciences humaines et sociales.  Il s’agit donc de rendre actionnables et utilisables les connaissances et recommandations des sciences du changement de comportements aux concepteurs de tous horizons. 

Dans un second entretien, Antoine nous partage son expertise sur les low tech.


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